Ayana Mathis, « Les douze tribus d’Hattie »

Hattie blog

9 sur 10

J’ai découvert l’existence des Douze tribus d’Hattie en lisant les pages culture de Causette, un magasine féministe que j’affectionne particulièrement. Quand la rédactrice du blog Sur la route de Jostein a proposé sur un forum une lecture commune de ce roman, je me suis dit que décidément, le hasard me poussait à le découvrir. Je m’y suis donc mise avec curiosité, et je peux vous dire que je ne le regrette pas !

 envie

Gare de Philadelphie, 1923. La jeune Hattie arrive de Géorgie en compagnie de sa mère et de ses sœurs pour fuir le Sud rural et la ségrégation. Aspirant à une vie nouvelle, forte de l’énergie de ses seize ans, Hattie épouse August. Au fil des années, cinq fils, six filles et une petite-fille naîtront de ce mariage. Douze enfants, douze tribus qui égrèneront leur parcours au fil de l’histoire américaine du XXe siècle. Cette famille se dévoile peu à peu à travers l’existence de ces fils et de ces filles marqués chacun à leur manière par le fort tempérament d’Hattie, sa froide combativité et ses secrètes failles.

 Mon avis

En démarrant la lecture de ce livre, j’avais une seule appréhension : et si, malgré les éloges lus ici et là, je trouvais ce livre décousu, les chapitres trop courts, les personnages dessinés de façon trop superficielle ? Et puis je me suis souvenue que l’une de mes auteures favorites est Alice Munro, la dame qui a gagné le prix Nobel de littérature en 2013, et qui publie uniquement des recueils de nouvelles. Je me suis souvenue que les récits courts, quand ils sont bien maîtrisés, permettent une intensité au moins égale à celle des romans, alors je me suis débarrassée de toute appréhension et me suis lancée dans ce roman avec appétit.

Chaque chapitre est focalisé sur un ou deux des douze enfants et petits enfants d’Hattie, et raconte un moment important de leur vie. Ces récits peuvent faire penser à des nouvelles de par leur structure : il y a un début, un déroulement, et une fin ; il ne s’agit pas simplement de bribes de souvenirs qui se révèlent. Cependant, les histoires se répondent et forment un ensemble cohérent dont l’intensité émotionnelle est décuplée grâce à leur complémentarité. Hattie est présente, de près ou de loin, dans chacun de ces récits, et tous révèlent peu à peu sa personnalité, éclairent le lecteur et la lectrice sur ses choix, permettent de mieux cerner son personnage. À la manière d’un puzzle dont les pièces sont progressivement révélées, Ayana Mathis interroge la maternité, l’amour maternel qui ne s’exprime pas toujours à travers les câlins ou les mots doux, mais à travers le pragmatisme : nourrir, vêtir, guérir et garantir la sécurité physique.

 J’ai trouvé ce roman vraiment émouvant car l’écriture est sobre, dépouillée de tout effet de style, mais pourtant finement ciselée et très précise. Ayana Mathis fait l’économie des mots pour permettre à ses lecteurs de comprendre tous seuls les enjeux des différentes situations qui se présentent. Elle plante un décor, et décrit des rencontres et des situations sans disséquer le fond de la pensée de chaque personnage. Son style parfaitement maîtrisé ne nécessite pas d’artifices supplémentaires. Par la simple description des actions, elle fait passer toutes les émotions qui traversent ses personnages.

 Si j’ai tellement aimé ce roman, c’est également parce que le contexte et les situations ont autant d’importance l’un que l’autre. À travers l’histoire de la famille d’Hattie, Ayana Mathis dépeint, sans concessions ni misérabilisme, un pan entier de l’histoire afro-américaine sur près d’un demi siècle : la ségrégation, les lois Jim Crow ainsi que la peur et l’espoir qui se disputent la première place chez les noirs américains. Inversement, cette toile de fond historique définit également une partie de l’identité de chaque personnage.

 Chacun, chacune a ses failles et ses forces. Chaque enfant a une relation différente avec Hattie, ils ne se comprennent pas toujours, se jalousent parfois mais le roman montre indéniablement à quel point leur mère tient à eux. Si certaines « histoires » m’ont moins émue que d’autre, la force narrative est néanmoins présente d’un bout à l’autre de ce roman.

conclusion

Les douze tribus d’Hattie est un magnifique roman. Le style épuré parfaitement maîtrisé m’a permis de ressentir toute l’intensité des évènements relatés. De plus, ce roman ne peut être réduit à une simple histoire pendant la période de la ségrégation aux Etats-Unis. À travers douze chapitres, sont également explorées les questions de l’identité, de la maternité, des relations entre adultes, entre les parents et leurs enfants… de l’Humanité, en fait.

8 réflexions sur “Ayana Mathis, « Les douze tribus d’Hattie »

    • Chouette, une enthousiaste de plus ! Je lis l’anglais en VO, mais je pense aller régulièrement voir les parutions Gallmeister pour me donner des idées quand je serai en manque de littérature américaine !

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