Audrey Niffenegger, « Le temps n’est rien »

Time Travelers Wife8 sur 10

Ce livre dormait dans mes étagères depuis plusieurs années. Forte de ma résolution de lire mes livres en attente avant d’en acquérir de nouveaux, j’ai décidé qu’il était temps de découvrir ce roman. Je craignais un tout petit peu la mièvrerie typique à certains romans d’amour, mais je me suis lancée, avec envie et curiosité, et j’ai été enchantée de voir que ce livre n’est en rien une histoire à l’eau de rose.

envie
Quatrième de couverture
« Avec lui je peux contempler mon existence dans sa totalité, comme une carte, passé et futur réunis, comme un ange… [..] Tout est déjà arrivé. Tout en même temps.  »
Nous avons tous déjà eu cette impression d’avoir rencontré une personne quelque part avant, ou de l’avoir connue dans une autre vie… Et si c’était dans un autre temps ?
Quand Henry, bibliothécaire, voit arriver Claire, une artiste séduisante, il ne peut croire à l’incroyable : ils se connaissent depuis des décennies, même s’il ne s’en souvient pas. Car Henry est atteint d’un mal mystérieux qui le « déplace » dans le temps.
De ce postulat insolite, Audrey Niffenegger a fait naitre un roman bouleversant, l’histoire d’un amour absolu et éternel.

Mon avis
Dès les premières pages, j’ai été emportée dans l’histoire, tout en douceur, comme si j’étais prise par la main et installée dans un fauteuil douillet. Non, je n’ai pas été embarquée dans une folle intrigue, dans une histoire éveillant un maelström d’émotions et me laissant tremblante à la fin de chaque chapitre. The Time Traveler’s Wife est un roman lent, subtil, qui prend le temps d’installer l’intrigue et les personnages. J’ai aimé cette lenteur, qui m’a permis de savourer ce très joli livre. Certains bonbons sont meilleurs quand on les laisse doucement fondre la bouche, au lieu d’essayer de les croquer à pleines dents d’un seul coup. Il en va de même avec ce roman, qui mérite qu’on lui consacre de vrais temps de lecture sereine.

Il n’y a en effet pas de réelle intrigue, dans le sens où le roman déroule simplement l’histoire de ce couple formé par Claire et Henry, dès leurs premières rencontres (oui oui, il y aura bien plusieurs premières fois). Et pourtant, en dépit de certaines longueurs, ce roman est tout sauf ennuyeux. C’est qu’il ne faut pas en oublier le postulat de base : Henry est atteint d’une maladie qui le propulse dans le temps sans qu’il n’ait le moindre contrôle. Il ne décide en effet pas de « voyager » dans le temps, et n’a aucune prise sur ses destinations ni la durée de ses escapades forcées. Pire, il sait qu’il ne peut pas se servir de ces voyages pour modifier l’avenir. Il est donc parfois au fait d’évènements dramatiques qui se dérouleront toujours, quoi qu’il arrive.
Parfois, Henry va se rencontrer lui-même, et l’on assiste à des moments très touchants de complicité entre l’adulte qui voyage dans le temps et le petit garçon qu’il était alors. Parfois, il voit des morts, partis bien trop tôt, parfois il rencontre des gens qu’il ne connait pas encore… Henry voyage dans le temps depuis son enfance, et Audrey Niffenegger explore une multitude de combinaisons possibles (Henry, adolescent, voyage et se rencontre lui-même à quelques mois d’intervalle; adulte, il rencontre Claire, qui n’a que six ans…). Si au début la fillette adore rencontrer plusieurs fois par an cet ami presque imaginaire, les choses se compliquent quand, adolescente, elle éprouve du désir pour un homme beaucoup trop vieux pour elle. Ce roman est écrit avec beaucoup de finesse, et ces premières rencontres, qui pourraient paraître glauques étant donnée la différence d’âge qui sépare les futurs amoureux, sont en fait racontées avec beaucoup de douceur, avec un ton simplement juste. Henry n’est pas un Humbert Humbert obsédé par une nymphette qui lui fait perdre la tête, non, il est simplement un homme touché et heureux de voir à quoi ressemblait, étant petite, la femme qu’il a épousée dans son présent à lui, un peu comme s’il regardait une vieille photo de l’être aimé.
Petit à petit, Claire grandit, leur couple se forme, mais leur amour est miné par les soudaines disparitions d’Henry qui les font souffrir tous les deux. Il culpabilise, bien entendu, parce qu’il ne maîtrise rien et a l’impression que Claire est enfermée dans une prison dont ni lui ni elle ne possède la clef. Il a l’impression de n’avoir prise sur rien et tous les deux sont obsédés par la question récurrente du libre-arbitre et du déterminisme.

Il ne s’agit donc pas seulement d’une histoire d’amour mais également d’une réflexion philosophique sur la liberté. Quels choix sommes-nous libres de faire quand notre histoire semble avoir déjà été écrite et quand nous sachons que nous ne pourrons rien y changer. À quoi bon se battre pour obtenir quelque chose quand on sait que quoi qu’on fasse, on finira bien par l’avoir. À quoi bon tenter coûte que coûte d’éviter des malheurs qui s’abattront de toute façon finalement sur nous? Peut-être, tout simplement, pouvons-nous alors profiter de ce que nous offre la vie, sans nous soucier des conséquences de nos actes? J’ai trouvé ces questionnements passionnants, et ai surtout adoré le fait qu’Audrey Niffenegger n’y apporte aucune réponse. Le temps n’est rien n’est pas l’un de ces romans qui ont la prétention de vous éduquer ou de vous inculquer les façons de penser que l’auteur considère comme étant les meilleures.

Si j’ai trouvé le style assez inégal (plus percutant au tout début du roman), le ton, quant à lui, est cohérent de bout en bout. Les évènements sont parfois heureux, parfois très violents, parfois cocasses, mais les émotions et l’analyse fine des personnages (bourrés de défauts mais terriblement attachants) sont présentes du début à la fin sans jamais être négligées.

conclusion

Malgré quelques longueurs, Le temps n’est rien est un roman d’amour écrit tout en finesse, avec un ton juste du début à la fin. C’est un livre sur l’amour, l’attente, la peur, le manque… sur la vie, en fait, même si celle-ci est très particulière.

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