Anne-Dauphine Julliand, « Deux petits pas sur le sable mouillé »

Petits pas

Je n’avais entendu que du bien de ce douloureux récit écrit par une mère ayant du surmonter le décès de sa très jeune fille malade. Eh bien, je n’ai pas du tout apprécié ce livre et, étonnement, ce n’est pas son thème qui m’a été le plus désagréable, mais bien la manière dont il est abordé.

envie

Tout commence sur une plage, quand Anne-Dauphine remarque que sa fille marche d’un pas hésitant. Après une série d’examens, les médecins découvrent que Thaïs est atteinte d’une maladie génétique orpheline. Elle vient de fêter ses deux ans et il ne lui reste que quelques mois à vivre. L’auteur lui fait alors une promesse : « Tu vas avoir une belle vie. Pas une vie comme les autres, mais une vie dont tu pourras être fière. Et où tu ne manqueras jamais d’amour. » Ce livre raconte l’histoire de cette promesse et la beauté de cet amour.

Mon avis

Aujourd’hui, je n’ai pas envie de chanter les louanges de ce livre que tant de gens ont pourtant adoré. Ce livre m’a mise si mal à l’aise que je n’ai presque pas réussi à ressentir d’empathie pour cette mère effondrée par la perte de son enfant. La langue est belle, plutôt bien maîtrisée malgré quelques lourdeurs, mais page après page, j’ai eu l’impression de lire l’impudique « chronique d’une mort annoncée ». Le sujet abordé est délicat et douloureux. Je le savais avant de commencer la lecture, et ça ne m’a pas dérangée. Plus que les descriptions de la lente et pénible déchéance de la petite protagoniste, il m’a surtout été insupportable de lire que des parents clament offrir « une belle vie » à leur petite fille, alors qu’ils s’acharnent à la maintenir en vie à tout prix, malgré les sens et les organes qui lâchent, malgré le système nerveux qui se fait la malle, malgré la douleur qui, elle, est de plus en plus intense.

Le leitmotiv des parents, « il faut ajouter de la vie aux jours, lorsqu’on ne peut pas ajouter de jours à la vie. », est une promesse bien trompeuse : la maladie de Thaïs la paralyse de plus en plus, au point que le moindre déplacement devient inenvisageable tant il est douloureux pour elle. Très vite, elle n’a plus aucune occupation, même si tout le monde est attentif à elle. J’avais l’impression d’être le témoin impuissant d’un acharnement… non-thérapeutique, justement, car l’issue fatale n’est un secret pour personne. Jamais cette maman ne se plaint. Jamais elle ne se révolte, tournée qu’elle est vers un Dieu dont j’ai senti la dérangeante présence tout au long du récit (je suis profondément anticléricale, surtout quand la religion sert de prétexte pour se soumettre à une pseudo-volonté divine et empêche les gens d’exercer le libre examen, c’est-à-dire, en fait, tout le temps). Elle est bien ancrée dans la réalité et surmonte chaque épreuve, l’une après l’autre, avec toute la détermination (égoïste) dont elle est capable.

Selon moi, une seule chose sauve ce récit : les relations entre les différents intervenants sont décrites avec une très, très grande sensibilité. Gaspard, grand frère aimant et protecteur, porte un regard à la fois lucide et serein sur les malheurs qui jalonnent l’existence de sa famille. Anne-Dauphine Julliand explique son émotion face à la solidarité de chacun. Elle dissèque ses discussions avec des amis qui n’osent plus lui parler de leurs petits malheurs par crainte de la blesser ou de la froisser (« que sont nos petits soucis face à la maladie de ton enfant adorée ? »). Elle partage, sans le moindre misérabilisme, son envie que les conversations et les relations puissent redevenir aussi légères qu’avant. Elle a besoin de continuer à ne pas être reconnue que comme la mère d’une petite fille malade, mais également comme une personne avec qui on peut encore rire, à qui on peut se confier, avec qui on n’est pas toujours obligé de prendre des gants. C’est cette détermination-là qui m’a plu dans le livre. Ce besoin d’avoir une identité propre et personnelle, en dépit de tout. Étrange, n’est-ce pas, qu’un récit aussi douloureux ne m’ait touchée que par les questions d’identité qu’il soulève ?

conclusion

J’ai trouvé ce récit profondément impudique (chaque détail quant à la souffrance de Thaïs est-il vraiment nécessaire?) ; j’ai trouvé les parents égoïstes (et qu’on ne vienne pas me parler de courage quand on maintient en vie un être dans la souffrance permanente juste pour s’éviter le chagrin de sa mort) et leur acharnement insupportable. Si l’on fait fi de ces éléments, ou si mon opinion bien tranchée n’est pas partagée, il reste un récit écrit avec une grande sensibilité mais sans sensiblerie et qui a su éviter les écueils du misérabilisme qui auraient facilement pu amoindrir la portée de ce livre au succès phénoménal.

J’ai lu – 249 pages – Publié pour la première fois en 2011

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